Le gluten. Autrefois la star des boulangeries, le pilier de nos baguettes croustillantes et de nos croissants dorés. Aujourd’hui, il est devenu le vilain petit canard des régimes bien-être. Mais comment cette protéine, célébrée pendant des millénaires, a-t-elle fini sur la liste noire des aliments à éviter ? Retour sur une histoire pleine de rebondissements, entre science, industrie et marketing.

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Les débuts glorieux : quand le gluten faisait lever les foules

L’histoire du gluten commence il y a environ 10 000 ans, à l’aube de l’agriculture. Nos ancêtres se mettent à cultiver du blé, une céréale riche en glucides, facile à stocker, et surtout capable de nourrir des communautés entières. Le gluten, cette protéine naturellement présente dans le blé, se révèle être un allié précieux : il donne élasticité et structure à la pâte, permettant de fabriquer du pain levé.

Dans l’Égypte antique, le pain devient une véritable monnaie d’échange, et le gluten, bien qu’invisible à l’œil nu, est au cœur de cette révolution culinaire. C’est grâce à lui que les pains gonflent et deviennent moelleux, à l’inverse des galettes plates consommées auparavant.

Pendant des siècles, le blé reste une denrée précieuse. Le pain est considéré comme « l’aliment des civilisations », et le gluten, bien que méconnu, est l’un des héros discrets de nos tables.

La révolution industrielle : le gluten entre en scène

Au XIXe siècle, la révolution industrielle change complètement la manière dont nous produisons et consommons le blé. Les moulins modernes permettent de raffiner la farine, éliminant le son et le germe pour ne conserver que l’amidon et les protéines, dont le gluten. Résultat : des farines blanches, faciles à conserver et idéales pour fabriquer des pains légers et aérés.

C’est aussi à cette époque que le gluten commence à être isolé et utilisé dans d’autres préparations alimentaires. Les boulangers s’en servent pour améliorer la texture de leurs produits, et les industriels l’intègrent dans des sauces et des conserves pour épaissir ou stabiliser les préparations. Le gluten devient une véritable star des cuisines, bien qu’il reste invisible pour la plupart des consommateurs.

Le début des ennuis : quand le gluten se fait remarquer

Au XXe siècle, les premières études médicales commencent à pointer du doigt certains effets indésirables du gluten. En 1950, des chercheurs découvrent la maladie cœliaque, une maladie auto-immune déclenchée par l’ingestion de gluten. Les patients atteints de cette condition présentent des dommages au niveau de l’intestin grêle, entraînant des carences nutritionnelles et des symptômes variés comme des douleurs abdominales, des diarrhées et une fatigue chronique.

Bien que cette maladie soit rare (elle touche environ 1 % de la population mondiale), elle met le gluten sous les projecteurs pour la première fois. Cependant, à l’époque, la majorité des gens continue à consommer du gluten sans problème apparent.

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Les années 2000 : le gluten devient un coupable idéal

C’est dans les années 2000 que le gluten commence à être largement remis en question. L’essor des régimes sans gluten est en grande partie alimenté par des célébrités et des influenceurs bien-être, qui le décrivent comme une source de nombreux maux, même pour les non-cœliaques. Ballonnements, fatigue, brouillard cérébral : le gluten est accusé de tout, sans distinction.

Des études sur l’hypersensibilité au gluten non cœliaque (HGCNC) viennent renforcer ce phénomène. Cette condition, qui touche entre 6 et 13 % de la population selon les recherches, décrit des symptômes similaires à ceux de la maladie cœliaque, mais sans les marqueurs auto-immuns caractéristiques.

Les industriels flairent rapidement l’opportunité. Le marché des produits sans gluten explose, passant de 1 milliard de dollars en 2000 à près de 9 milliards en 2023. Les rayons des supermarchés se remplissent de pâtes, pains et biscuits sans gluten, souvent plus chers et pas toujours plus sains.

Et aujourd’hui, qu’en pense la science ?

Pour les personnes atteintes de maladie cœliaque ou d’hypersensibilité réelle, le gluten est un vrai problème. Mais pour la majorité des gens, les études montrent qu’il est parfaitement toléré. Une méta-analyse publiée dans Clinical Nutrition conclut que l’élimination du gluten n’apporte aucun bénéfice significatif pour les personnes en bonne santé.

En revanche, les produits contenant du gluten, notamment les aliments ultra-transformés, peuvent poser problème. Ces derniers sont souvent riches en additifs et pauvres en fibres, ce qui peut perturber le microbiote intestinal et exacerber les troubles digestifs.

De héros à paria : une question de perception

Le gluten n’a pas changé. C’est notre rapport à lui qui s’est transformé, influencé par l’évolution de notre alimentation, les progrès de la médecine, et le marketing. Autrefois symbole de prospérité et de partage, il est aujourd’hui vu par beaucoup comme un ennemi à éviter à tout prix.

Mais est-il vraiment un problème ou simplement une victime des tendances alimentaires modernes ? Peut-être un peu des deux. Ce qui est sûr, c’est qu’avant de bannir le gluten, il est important de comprendre les véritables raisons de ses effets sur notre santé. Après tout, le pauvre gluten n’a jamais demandé à devenir une star… ni un paria.